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LES DESSOUS D'UN RECIT OFFICIEL
 

 

 

 

 

 

 
    A vrai dire, son suicide est un mystère, qu'on a parfois cherché à expliquer en lui inventant un amour malheureux. En fait, on ne sait rien de sa vie privée. Le plus probable est que Gourville, qui avait enfin eu des lettres de rémission, venait de rentrer en France et d'entrer au service de Condé avec mission de mettre de l'ordre dans ses affaires. Vatel souffrit de le voir prendre plus d'importance que lui chez Condé. Lui qui avait été le premier chez Foucquet, il redevenait subalterne. Peut-être craignit-il aussi une révision un peu stricte de ses comptes Le beau récit de Mme de Sévigné, qui n'a rien vu, rien su directement, qu'elle invente à partir de ce qu'on est venu lui raconter, a toutes les chances d'être le reflet d'une version officielle des faits, destinée à éviter tout scandale.
   
    La Gazette contera longuement la fête. Elle ne dira pas un mot du suicide de Vatel. Quand il l'apprit, Gourville ordonna de porter promptement le cadavre loin de Chantilly, dans une charrette. Des subalternes prirent sur eux de le mettre dans un carrosse. Le curé de Saint-Léonard, paroisse du suicidé, refusa le corps. On l'enterra sans cérémonie au cimetière de la paroisse de Saint-Firmin, dont le curé n'omit pas de mentionner sur son registre qu'il avait agi par l'ordre que lui en ont apporté les officiers du prince de Condé. En principe, on n'admettait pas les suicidés en terre sainte.
   
    Vatel a brutalement interrompu son exceptionnelle réussite sociale par un suicide inattendu. Voilà de quoi émouvoir les foules. Mais s'il ne s'était pas suicidé, Mme de Sévigné n'aurait jamais parlé de lui et on aurait oublié jusqu'à son nom. par sa mort, il est devenu un personnage. Un personnage dont on a envie d'inventer l'histoire, un personnage de roman, un héros de film à grand spectacle.